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1839, 25 septembre 17h, Victor Hugo débarque à Avignon

Il raconte : ...Hier j’étais à Lyon, il pleuvait à verse. À cinq heures ce matin, je quittais Lyon qui grelottait de froid sous un gros nuage ; à cinq heures ce soir, j’étais ici. C’est un merveilleux voyage. En douze heures je suis allé, non de Lyon à Avignon, mais de novembre à juillet...
...« Arriver à Avignon par un beau soleil couchant d’automne, c’est une admirable chose. L’automne, le soleil couchant, Avignon, ce sont trois harmonies...
...J’y suis arrivé vers le soir. Le soleil venait de disparaître dans une brume ardente ; le ciel avait déjà ce bleu vague et clair qui fait si divinement resplendir Vénus ; quelques têtes d’hommes, brunes et hâlées, se montraient sur les hautes murailles comme dans une ville turque ; une cloche tintait, des bateliers chantaient sur le Rhône, quelques femmes pieds nus couraient vers le port ; je voyais par une porte ogive monter dans une rue étroite un prêtre portant le viatique, précédé d’un bedeau chargé d’une croix et suivi d’un fossoyeur chargé d’une bière ; des enfants jouaient sur des pierres à fleur d’eau au bas du quai ; et je ne saurais dire quelle impression résultait pour moi de la mélancolie de l’heure mêlée au grandiose du spectacle....

...La ville des papes s’en va, elle aussi ; l’année de Pierre, cette année qui devait être un cycle, est à son automne ; le soleil catholique, qui s’est levé dans Avignon comme dans Rome, est à son couchant.
De loin, l’admirable ville, qui a quelque chose du destin de Rome, a quelque chose de la forme d’Athènes. Ses murailles, dont la pierre est dorée comme les ruines augustes du Péloponnèse, ont un reflet de la beauté grecque. Comme Athènes, Avignon a son Acropolis ; le château des papes est son Parthénon.
Les collines sont calcaires, les toits sont italiens, ce qui enveloppe la ville d’un horizon plein de tons chauds et de lignes droites, que coupent dans le lointain des groupes de grosses tours rondes. À mesure que vous avancez, le mouvement du bateau à vapeur en marche fait que ces groupes de tours se décomposent et se recomposent, aux rayons du soleil, sans jamais rien perdre de leur unité pittoresque et sévère, comme si Poussin lui-même les dérangeait et les remettait en place.
Quand on approche de la ville, la figure grecque et antique de la vieille Avignon se modifie, sans disparaître pourtant, et l’idée catholique prend forme et se fait jour. Les clochers se multiplient ; les aiguilles gothiques percent ce magnifique entassement d’architraves ; le château des papes devient pour le regard une sorte de cathédrale romane gigantesque, qui a sept ou huit tours énormes pour façade et une montagne pour abside. Des ogives se dessinent çà et là dans l’enceinte fortifiée ; des ailerons arabes s’attachent aux deux côtés des massives portes- donjons ; vers le haut des murs apparaissent des meurtrières d’une forme remarquable : la meurtrière des papes est une croix †.
Tout cela, c’est de la grandeur ajoutée à de la grandeur ; comme je l’ai dit plus haut, c’est Rome surgissant dans Athènes. La meurtrière elle-même ne choque pas. La tiare était casque par un côté. Jules II, qui fut évêque d’Avignon avant d’être pape, l’a souvent montrée de ce côté-là aux rois de l’Europe. La croix catholique n’est pas seulement une croix ; elle est quelquefois un marteau ; elle est quelquefois une épée.
Maintenant que le flot se retire d’elle, Avignon n’est plus qu’une petite ville, mais c’est une petite ville d’un aspect colossal...
...Avignon se meurt comme Rome, de la même maladie que Rome, avec autant de majesté que Rome. »

Vous pouvez trouver ce texte sur le Site de la bibliothèque Nationale -Gallica, pages 73,74, 75 :

François-Marie Legœuil