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La poussière des siècles

réduction des ossements des chanoines du 17esiècle

« Souviens-toi que tu es poussière
et que tu retourneras à la poussière ».
(Genèse 3-19)

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Dans notre vieux monde européen, l’Histoire nous ramène souvent à ces paroles de sagesse. Arpentez, pour vous en convaincre, le dallage de nos églises. Le souci de se faire enterrer ad sanctos, au plus près des reliques, nous vaut les sages, solennels et froids cercles de sarcophages de Saint-Germain à Auxerre, les alignements des Alyscamps d’Arles, les boîtes à crânes des enclos du Finistère, les charniers Charentais… À Avignon, dans la cathédrale des Doms, vous marchez sur cette poussière des siècles et sur les dalles qui scellent celle des hommes. Si le caveau des archevêques est toujours en activité, celui des chanoines du chœur n’a plus été ouvert depuis la fin du XVIIe. Depuis cette époque révolue, ils attendaient dans ce petit matin d’hiver Monsieur le Chanoine Bréhier, Recteur des Doms qui allait procéder à la cérémonie de réduction des ossements de ces lointains prélats, ses prédécesseurs. J’étais là pour enregistrer la scène pour la radio RCF Vaucluse et je servirai aussi d’enfant de chœur à la cérémonie funèbre. La cathédrale fermée au public pour deux ans de travaux était obstruée par la forêt touffue des échafaudages, traversée des grosses et brillantes lianes noires des câbles électriques. Le personnel des pompes funèbres était à son poste dans le chœur : deux cercueils neufs attendaient à côté de la dalle ouverte. Les cloches se mirent à battre, mais personne n’en comprendrait la signification : Memento mori, domine… Le Chanoine Daniel Bréhier chanta l’office des défunts : je lui donnai les répons ; il prononça une courte allocution à la mémoire de messieurs mes prédécesseurs qui avaient en leur temps bien servi et illustré l’Église par leur piété et leur science. Le Chanoine me donna à lire les lectures liturgiques, une dernière prière… Un ouvrier descendit dans le caveau peu profond où il ne pouvait opérer que courbé. Deux longues caisses de grossières planches de bois l’occupaient : les cercueils où les ossements des chanoines des temps jadis avaient déjà été regroupés au temps du Roi-Soleil.
Sur l’un deux, une chandelle éteinte encore scellée verticalement sur le bois par la cire coulée, depuis trois cents ans déjà… Sur l’autre, un morceau d’étole de soie élimée aux grises couleurs délavées par les siècles… témoignage poignant de la cérémonie des années 166… sic transit gloria mundi… L’ouvrier fit sauter les planches avec un pied de biche. On les empila sur le dallage… La grosse serrure du couvercle rejoignit l’étole et la chandelle pour le musée de la cathédrale. On lui passa une petite caisse en bois grossier et il la remplit d’ossements et de crânes… qu’un ouvrier rangeait dans les deux cercueils neufs. Il estima à une douzaine, le nombre des occupants. Lorsque tout fut accompli, je descendis dans le caveau vide : trois mètres de long environ, un mètre cinquante de large, un mètre soixante de haut… creusé grossièrement dans la roche, un sol d’une blanche et épaisse poussière déposée l à par le ressac des années : c’est cela, un caveau ! le fond scellé d’un mur de pierre : il semble que ce caveau constituait le fond d’une galerie partant du parvis du bâtiment. On porta les deux cercueils neufs dans l a chapelle du Saint-Sacrement où ils allaient attendre, non pas encore la Résurrection, mais la fin des travaux dans deux ans avant de regagner leur caveau d’origine. Le Recteur prononça encore quelques mots, mit les cloches en branle et regagna la sacristie où j’allais enregistrer le témoignage que vous pouvez écouter si vous ne l’avez déjà fait, en cliquant sur le bouton qui se trouve après le titre ci-dessus.

François-Marie Legœuil