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Rochefort du Gard : une Colline inspirée...

Passant au pied du sanctuaire de Notre-Dame-de-Grâce à Rochefort-du-Gard, la phrase de Barrès me revint à l’esprit : « Il est des lieux où souffle l’esprit... Il est des lieux qui tirent l’âme de sa léthargie, des lieux enveloppés, baignés de mystère, élus de toute éternité pour être le siège de l’émotion religieuse... » C’est le cas de cette « colline inspirée  »… Quand elle a été choisie par les R.P. Maristes en 1869 pour y construire un Chemin de Croix monumental, c’est parce qu’elle ressemblait alors à une de ces collines de Judée, dévolue aux moutons, pelée et grillée par le soleil comme l’atteste en 1900 la photo de ce pèlerinage avec ses diligences. Si vous disposez d’un oeil bien exercé, vous devinez le Chemin de croix à l’extrême droite :

Depuis, la végétation a repris, mais la colline conserve son allure « bédouine » :

Commencez par le début, c’est-à-dire partez d’en bas, de la monumentale entrée qui commémore «  l’agonie » du Christ au jardin des Oliviers :

Les murs latéraux supportent des inscriptions et des blasons gravés. À gauche, blason et inscription du Pape Pie IX alors en exercice :

et sur le mur de droite le blason de l’évêque de Nîmes avec sa dédicace que je vous traduis après la photo :

« Ce petit sanctuaire a été érigé en l’honneur de la très douloureuse agonie de Notre Seigneur Jésus Christ, par la générosité d’Henri Plantier évêque de Nîmes de douce et immortelle mémoire, à la fête de la Sainte Croix le XVIII des calendes d’octobre 1878 »...

...c’est-à-dire si j’ai bien effectué le calcul romain des jours calendaires, le 14 septembre 1878. Mgr Plantier avait tenu à financer sur ses propres deniers cette Porte monumentale mais il était décédé lors de l’inauguration du pèlerinage ce qui explique : la douce et immortelle mémoire... mon latin datant quelque peu, j’ai hésité dans la traduction entre : érigé magnifiquement par Henri, ou érigé par la générosité d’Henri... Ces inscriptions et blasons sont d’une très grande qualité d’exécution dans la lignée des grands siècles classiques et même romain comme le montre le calcul calendaire de la date sur le modèle antique...

Commence ensuite le Chemin de Croix proprement dit qui vous mènera comme il se doit en 14 stations au Calvaire du Golgotha sur un chemin qui serpente à flanc de colline en sept lacets étroits... Comme vous le constatez, ces stations sont inspirées des maisons orientales avec coupole, et arc mauresque :

Ce choix architectural - voulu par l’évêque de Nîmes - nous rappelle que le vrai Chemin de Croix, celui du Christ, s’est déroulé à Jérusalem et il évoque donc la Via dolorosa de Jérusalem, cette rue qui conduit de chapelle en chapelle depuis le Prétoire de Pilate jusqu’au Saint-Sépulcre sur le Golgotha en passant par le palais d’Hérode, la cour du Sanhédrin et tous les lieux mentionnés par les Évangiles de la Passion…

N’oublions pas que les Chemins de Croix ont été créés au XIVe siècle par les Franciscains qui étaient devenus « Gardiens des Lieux Saints » - et le sont toujours - et qui souhaitaient permettre à ceux qui ne pouvaient partir en pèlerinage à Jérusalem, d’accomplir quand même chez eux un pèlerinage de cœur et de méditation.

Chacune de ces « station-maison » est décorée à l’intérieur d’une sculpture en haut-relief polychrome illustrant la scène de la station. Ci-dessous, voici par exemple la XIIIe station : « Jésus est déposé de la Croix », le texte figurant sous ce titre : « Ô Marie, imprimez tellement dans mon âme les douleurs que vous ressentîtes au pied de la Croix, que je n’en perde jamais le salutaire souvenir » :

Cette même station possède aussi une grande statue en ronde bosse sur l’extérieur du mur du fond, sans doute parce que ce mur est situé contre la route et vu depuis elle. C’est saint Pierre lui-même, à taille humaine, qui tient ses deux clés à la main. Pourquoi lui ? Sans doute un rappel au sacrifice de Jésus pour les pêcheurs : cet ardent partisan de Jésus l’a renié trois fois cette nuit-là et fut pourtant notre premier Pape :

Suivez ce « chemin montant, sablonneux, malaisé et de tous les côtés au soleil exposé »... oui, vous verrez comme il est raide ce chemin ! Vieux comme moi, demoiselles à talons hauts (si ça existe encore), bancroches, bébés, jeunes mamans, ne commettez pas la même erreur que moi, choisissez un jour plutôt frais… Jadis, on était plus endurci. Sur ce même sentier, le chanoine J.B. Petitalot, enthousiasmé pouvait s’écrier en 1910 : « On dirait, quand ils sont au pied de ce nouvel Horeb, qu’ils entendent la voix de Dieu leur crier comme à Moïse : "Dépose ta chaussure, car le lieu vers lequel tu marches est saint." Ils gravissent le mont sacré par ses cô­tés les plus âpres, en se traînant sur les genoux, ou les pieds nus et plus d’une fois meurtris par des pierres ou des rochers au tranchant impitoyable... »

Atteignant la 14e et dernière station, celle de la mise au tombeau, il vous restera encore à grimper la vingtaine de marches qui vous mènera au Golgotha - le Mont du Crâne - avec l’immense croix de Jésus encadrée des croix des larrons, le bon, à sa droite qui le regarde, et le mauvais à sa gauche qui détourne la tête… et à leurs pieds, Marie et Jean :

Quittez maintenant le Chemin de Croix qui s’est terminé sur la Mise au tombeau, pour gagner le sanctuaire où vous attend le Dieu Ressuscité : un condensé de la foi chrétienne, un catéchisme de pierre. Pour cela, suivez à gauche le chemin le long du mur de soutènement du monastère parmi les iris, les romarins et les oliviers, et vous pourrez enfin vous reposer sur l’esplanade du sanctuaire :

Entrez, pénombre et silence vous plongent dans le déluge des siècles. Le lieu remonte au moins à Charlemagne, mais le bâtiment qui vous accueille est plutôt celui du XVIIe. Depuis ces temps reculés, la Vierge est priée pour des cas douloureux ou remerciée pour des grâces reçues comme l’attestent de très nombreux ex-voto.
Dès l’entrée, une grande pierre couronnée des trois fleurs de lys, en sautoir l’Ordre de Saint-Michel et celui du Saint-Esprit, témoigne que la reine Anne d’Autriche y a fait ses dévotions en 1666 :

Un peu plus loin, la ville de Nîmes remercie la Vierge de Rochefort de l’avoir préservée du choléra en 1888… Très romantique ce tableau : Sur son petit nuage la Vierge à l’enfant tend son bras le doigt pointé et impératif pour chasser le choléra. Juste en dessous, les pauvres cholériques défunts vont quitter les flammes purificatrices du Purgatoire pour entrer au Paradis. Ce choléra décharné brandissant sa grande faux qui moissonne les vies plane au-dessus de la ville, son linceul virevoltant joliment dans la brise... et obéissant à la Vierge il va quitter la cité de Nîmes en atteignant le bord du tableau. Nîmes est très reconnaissable, à droite la Tour Magne, le clocher de la cathédrale, les arènes, les doubles tours de Saint-Baudile :

Ou encore, le 10 septembre 1884 l’Archiconfrérie de Notre-Dame du Suffrage remercie d’avoir protégé la diligence qui transportait les confrères, de la foudre et d’un orage qui firent date dans les annales. Les chevaux s’emballent, les passagers de la diligence lèvent les bras pour implorer la Vierge de Grâce... les éclairs zèbrent le ciel d’encre, la foudre tombe, allume un incendie d’où les pauvres victimes carbonisées s’élancent vers le paradis où les attend la Madone debout dans une éclaircie resplendissante... Une scène d’action pour un film catastrophe :

Vous voulez en voir beaucoup d’autres ? Un ravissant petit musée vous attend, mais un bon conseil, renseignez-vous sur les jours d’ouverture… réussir à le voir se mérite !

Enfin, il me restait à voir, au centre de l’autel du chœur, la Vierge couronnée qui avait été inaugurée le 13 avril 1869 en même temps que le Chemin de Croix.

Je m’apprêtais à partir quand je vis une très petite fille - 8, 9 ans, agenouillée toute seule sur les marches de l’autel, les mains jointes, les yeux fermés qui priait en silence... Comme sur une image de ces Bons-Points que l’on donnait de mon temps au catéchisme... Rien que pour ce bref instant d’enfance ma journée valait le coup d’être vécue.

De la beauté plein les yeux, vous vous apprêtez vous aussi à partir.
Comme tout bon pèlerin, et même si vous n’êtes venu qu’en touriste, il vous restera à honorer Notre Dame du Suffrage de la façon qui vous conviendra.

François-Marie Legœuil
Travaillan, le 24 avril 2022

Si vous voulez consulter ou même télécharger la présentation du chanoine J.B. Petitalot de 1910 :Cliquez pour la présentation du Chanoine Petitalot

Si vous êtes un passionné, vous pouvez lire ou télécharger le compte rendu de la Cérémonie du Couronnement de la Vierge et de l’enfant, toujours de l’indispensable Chanoine Petitalot et toujours en 1910 : Cliquez ici pour le récit du Couronnement

Et enfin, uniquement si vous êtes un rat de bibliothèque, téléchargez en PDF La vie de sa Grandeur Mgr Plantier de 1882, ne serait-ce que pour lire les pages 52 et 53 et les pages de 308 à 310 sur Rochefort et son Chemin de Croix : Cliquez pour télécharger la vie de Mgr Plantier
État du calvaire vers 1880 sur cette gravure :


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