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Avignon, Basilique Saint-Pierre, enquête sur une porte...

Malgré son grand âge - elle a 572 ans, solide, elle l’est ! Cette double porte en noyer massif respire la force. Monumentale, elle l’est ! quatre mètres de haut, autant de large. Extraordinaire, elle l’est ! avec ses sculptures fascinantes qui en font une passionnante pièce de musée ! C’est elle qui s’ouvre sur la façade de la basilique Saint-Pierre d’Avignon :

Beaucoup disent que quatre diables y figurent, mais seulement pour signifier que le démon doit rester à la porte. C’est un joli conte pour les enfants. Car il n’en est rien ! Regardons d’abord deux de ces soi-disant diables, un homme et une femme :


L’homme, à gauche, possède deux petites cornes sur son front et sous son pagne on voit bien qu’il est velu à la façon d’un ours ou d’un loup ; ses jambes sont remplacées par deux branches d’arbre entremêlées. Quant à la femme, son ventre est une tête de lion posée non sur ses jambes, mais sur un socle de statue…

Tout cela n’évoque pas des démons, mais plutôt ces êtres composites hésitant entre l’animal, la plante et l’humain dont le moyen-âge fut très friand sous forme de gargouilles, de chapiteaux, de miséricordes de stalles ou de lettrines ornant les manuscrits…





Ces éléments de portes ne sont pas des portraits, mais de purs éléments de décoration que la Renaissance reprend de façon exubérante et qui seront employés jusqu’au début du XXe siècle comme le montrent non loin de là ce mascaron rue Carnot :

ou celui-ci, rue Petite Meuse :

Mais tout cela n’est que décoration. L’important ce sont les panneaux centraux de la porte. Sur le vantail de gauche, deux scènes nous sont proposées par Michel Lopis, ce riche marchand avignonnais qui les commanda en 1526 pour « 60 écus d’or sol au coin du roi » à Antoine Volard « menuisier de bois. » À gauche, nous voyons saint Jérôme très reconnaissable à ses attributs : dans sa main gauche, il tient cette grande épine de bois qu’il avait retirée de la patte d’un malheureux lion qui depuis lui était dévoué comme un vrai chien de garde et que l’on voit à ses pieds. Sa main droite brandit un de ces cailloux du désert avec lesquels il se frappait la poitrine par pénitence. Au-dessus de sa tête, une branche d’olivier rappelle qu’au désert on jeûne, quelques olives suffisent. Sur sa table de travail, on aperçoit une tête de mort, ce « memento mori » censé rappeler aux ermites la vanité des choses terrestres qui partiront en fumée avec la mort. Voilà quelque chose de très intéressant, car Jérôme, secrétaire du Pape Damase quelques années avant la chute de l’Empire romain, était un intellectuel de réputation internationale. Il débattait et correspondait avec tout ce que l’Empire avait comme intellectuels, philosophes, poètes ou politiques. Il se retire alors à Bethléem pour s’isoler de ce Monde, en emmenant dans son sillage Paula, une grande et riche aristocrate romaine et sa suite. Ils fondent un double monastère, un de femmes dont l’abbesse sera Paula, lui dirigera celui des hommes.

Et pendant 34 ans, il s’isole - dit-on - dans les grottes de Bethléem - pour traduire les évangiles et la Bible des Septantes du grec en latin, comme le lui avait demandé le Pape Damase 1er. Et c’est là que la tête de mort déposée sur son bureau m’amuse : malgré le rappel de cette vanité des honneurs terrestres, Jérôme continua toute sa vie à correspondre quotidiennement avec toutes les vedettes intellectuelles de l’Empire romain… Un homme reste un homme, fût-il un saint ! Pour ma part, je trouve cela rassurant… Si vous allez à Bethléem, n’oubliez pas de visiter sous la crypte « crèche » de la basilique de la Nativité, les souterrains que l’on dit être ceux où s’isolait Jérôme. Asseyez-vous quelques instants, vous y serez peu dérangé, car il n’y guère de monde… Je l’ai testé : c’est une expérience qui ne figure dans aucun guide touristique et que vous n’oublierez pas.

Sur le panneau de droite de ce vantail de gauche, on reconnaît l’Archange saint Michel terrassant le démon :

Enfin, voilà un démon ! Mais là, l’Archange veille : c’est saint Michel, celui qui montre aux humbles humains que nous sommes que l’on peut terrasser le démon et sa tentation. Ses cheveux longs et frisés volent au vent, le vent de l’Esprit qui souffle sur l’Histoire humaine. Il vous enseigne comment échapper à la tentation : il suffit de pousser la porte de cette église ! Michel, le bouclier contre la tentation et ce bouclier, il le tient fermement : son avant-bras est passé sous la sangle et son poing est ferme sur la poignée. Son bras droit lève l’épée pour trancher dans le mal. Tout un enseignement, c’est l’illustration du psaume 28 : « L’Éternel est ma force et mon bouclier… ».

Quant au vantail de droite, il est tout entier réservé à une touchante et magnifique Annonciation :

Marie est assise sur un fauteuil, dans sa chambre : on devine le baldaquin de son lit sous un plafond à caissons. Ce n’est pas là l’environnement d’une humble famille de charpentier, mais par anticipation un environnement de la Reine qu’elle deviendra après son Assomption et son Couronnement. Elle lit, la Bible bien entendu, sans doute les prophètes qui annoncent la venue du Messie. À droite, l’Archange Gabriel agenouillé sur une nuée d’encens symbolisant les Cieux : on aperçoit en bas à gauche l’encensoir… de la main droite, son index désigne le Ciel : le Saint-Esprit sous la forme d’une colombe regardant Marie, donne la vie humaine au futur Jésus, la colombe se détachant sur une gloire de rayons qui symbolise Dieu le Père… c’est toute la Trinité qui est représentée là, et aussi toute l’histoire du Salut… Du reste, ces quatre scènes ont une unité profonde représentée par le sol : c’est partout ce même sol de petits pavés rectangulaires, très romains.Il s’agit en somme d’un catéchisme illustré en bois, qui, depuis la porte de la basilique Saint-Pierre d’Avignon - ce «  parvis des Gentils  » - enseigne les passants depuis plus de cinq siècles, et fait pendant à l’Annonciation de pierre qui couronne le portail de l’église voisine Saint-Agricol.

François-Marie Legœuil 28 mars 2023

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