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Petite recette de cuisine printanière.

L’été approchant il est grand temps de mettre à profit les légumes de saison, comme les assortir de viandes tendres. Vous ferez d’abord l’emplette raisonnée des premiers, ayant garde de rejeter les pousses trop jeunes. Si elles restent craquantes sous la dent, elles restent de saveur un peu fade. Je sais qu’il est d’usage de le corseter d’épices, mais cela consiste à vieillir prématurément les sucs qu’elles pourraient exprimer. Ainsi en est-il de ceux venus trop tôt sur lés étals électoraux qui s’affadissent avant d’être vraiment comestibles. Point n’est besoin de les citer, chacun les reconnaîtra aisément. Je vois à votre mimique que vous les avez déjà répertoriés.

Au domaine des plus rassis on compte pléthore de vieilles légumes qui se sont flétries, soit au sein des pouvoirs qu’elles comptèrent, soit en désespérant, contre toute décence, de les atteindre : car chaque bottier vous le dira, un cuir se durcit faute d’être porté ou même caressé des onctions du suffrage universel, quant manquent encore les huiles essentielles qui suintent du pouvoir magistral. Vous les aurez donc judicieusement écartées.

Il reste à recycler celles et ceux qui ont franchi le premier stade évoqué plus haut. Ces tendrons qui ont su se cuirasser l’écorce mais restant tendres à l’intérieur. Nourris de sèves mais se gardant de les exsuder prématurément, ils vont franchir les premières bouffées estivales, gaillardement. C’est à ceux-là que je réserve cette vieille cocote en fonte, héritée de ma grand-mère. Elle a su traverser les âges, se culotter de vielles recettes radicales sans jamais travestir vraiment les origines mais les aménageant avec rondeur. Je vois que de multiples exemples vous viennent à l’esprit. C’est bien avec un vieux radical qu’on peut à la fois cuisiner et à gauche et à droite de la cheminée. Ce qui s’en échappe n’est que faribole gastronomiquement parlant.

Je vous laisse le soin de retenir ceux-ci ou de récuser ceux-là. L’important reste de les assortir aux viandes que vous aurez retenues. Et cela est la véritable affaire de choix.

La nature est, dans ce domaine, fort prodigue. Volaille, gibier, viandes ovines, porcines ou bovines que choisir ?

On va d’abord procéder à une estimation économique. Dame, une recette bien mitonnée est plus affaire de raison que de choix dispendieux. Le gibier d’abord n’est pas à écarter mais l’élevage, s’il a rationalisé les coûts a affadi les saveurs. Il y a un monde entre un vieux sanglier des Pyrénées ariégeoises et un marcassin élevé à l’E.N.A. Quant à la bécasse, elle s’est fort démocratisée et le pouvoir culinaire en a multiplié les choix. Je vois encore que vous me précédez aisément. On en restera donc à privilégier le petit gibier en guise de garniture apéritive. Etourneaux à la sauvette, petites cailles à l’algéroise, alouettes sans tête, ortolans.

Pour le plat de consistance, sans lequel il n’est pas de service véritable. Je vous laisserai volontiers opter pour veau (de ville en préférence) mouton (de chez Panurge cela va de soi) ou bœuf (d’Aubrac plus racé, de Corrèze plus festif, d’Aquitaine plus radical). Il reste que selon les traditions culinaires provinciales on a quelque peu oublié la manière lyonnaise pour aller rechercher la façon normande, laquelle chacun le sait, propose et le ptêt ben qu’oui ou la ptêt ben qu’non. Cette recette vient de s’enrichir de la flambée récente de ralliements. Et ce n’est qu’un début, tout marin breton sait que les muridés quittent le vaisseau promis au naufrage.

D’aucuns introduiraient volontiers une dose d’exotisme dans le menu ou la manière d’accommoder les restes. Ainsi a-t-on vu les épices asiatiques ou africaines pimenter les sauces, sans pour autant les rendre moins indigestes ou plus apéritives. C’est affaire de goût ou d’opportunisme culinaire ; je n’y vois, pour ma part, aucune contre-indication me méfiant cependant de rendre cet assaisonnement dominant (cf. l’affaire du benalla rugosa, utilisé à contre-emploi).

On va ainsi vers les desserts, sans pour autant négliger les fromages qui sont l’orgueil de notre république, fut-elle bananière. Feu le Général qui régna sur nos cuisines, avait raison de dire qu’il est fort difficile de choisir ceux qui garniraient notre assiette. Et pourtant, Dieu sait si nos grands organisateurs des banquets républicains ont fait preuve de créativité : Affinés à Strasbourg, les gastronomes en herbe ont vite fait de faire leur choix, pour autant que leur mise sur le marché leur permette de concilier leurs appétits et leurs résultats.

Il reste enfin à clore ce repas festif par un point d’orgue : le sucre dans tous ses états. Car, enfin, savoir conjuguer à la forme pronominale ce verbe est un raffinement d’esthète. Se parer des oripeaux de la vertu et justifier ses appétits sous le couvert du désintéressement reste le summum de l’art culinaire. Mes maîtres occupèrent les plus hautes chaires de cuisine ; mais je sais que leurs noms brûlent déjà vos lèvres.

Et que boire avec tout cela ? Vous en avez déjà plus qu’à plus soif des appellations les plus flatteuses, des cuvées coquines ou ruineuses. Chacun, dans ce domaine, suit son penchant pour les libations sages ou plus sommelières. Je me garderai bien de vous y accompagner sans l’éthylotest qui devrait être installé dans tous les isoloirs d’une république qui se respecte. Choisir sans s’abandonner à l’ivresse des lendemains qui déchantent ! C’est à ce prix que nous serons garantis des ivresses passagères qui colorent les scrutins passés et même à venir.

« Bon appétit, Messieurs… »..Vous connaissez la suite.

Laurent, ancien commis de cuisine.